Pour le mois de janvier 1915, nous n’avons qu’une lettre de Jeanne et en février nous n’en avons qu’une de Simon… Nous profitons de ce temps de « pause » pour replacer le contexte des combats, montrer comment le régiment de Simon est passé de la région de Sarrebourg à celle de Compiègne. Nous effectuons donc un « flash back » qui nous ramène à septembre 1914.
Les cartes utilisées sont de plusieurs sortes : carte IGN au 1/25000, cartes routières, cartes d’état major (on les trouve sur le site de l’IGN, « Géoportail »(1)). Ces dernières semblent s’imposer, hélas l’échelle utilisée les rend illisibles. Seuls des agrandissements localisés, sur quelques km2 les rend utilisables ici.
Les cartes routières actuelles, pour les grandes régions, sont parcourues par les autoroutes qui tronçonnent la carte. Et font oublier le réseau ancien. Nous avons utilisé pour cet usage, « un guide des routes de France » édité par les cartes Taride, au 1/1300000, non daté mais on peut penser qu’elles sont d’entre les deux guerres. La carte IGN au 1/25000 a été utilisée classiquement mais aussi en « doublon » des cartes militaires, certaines comparaisons sont révélatrices du bouleversement du paysage et des lieux dits.
Cela ne veut pas être une étude des combats menés par le régiment de Simon, une simple évocation des lieux, des événements qu’il a traversés. Vous avez pu remarquer qu’il est peu loquace sur « sa guerre » et il a pourtant été au cœur de moments meurtriers, aux avant-postes dans des régions âprement disputées, c’est cette réalité que nous voulons rappeler.
Nous essaierons, par la suite, de donner un contexte plus contemporain des courriers de notre couple, excusez notre retard…..
LES COMBATS DU 25 AOUT AU 11 SEPTEMBRE 1914
Les jours qui ont suivi ce recul de l’armée française sont terribles : le mot d’ordre de l’état major est clair, il faut tenir coûte que coûte, on ne recule pas. Les combats qui impliquent le 38ème et le 86ème ont lieu au sud de Baccarat, on a la sensation de beaucoup d’improvisation, d’incompétence : on envoie des compagnies occuper des villages, dans le secteur de Doncières, qui semblent vides et ils sont accueillis par un feu nourri de mitrailleuses, les combats se font rue par rue, maison par maison.
On arrive à reconstituer la localisation des combats en croisant le journal de Paulin Bert(2) , le JMO du 86ème régiment d’infanterie (3)(je l’ai déjà mentionné, nous n’avons pas celui du 38ème avant fin novembre), l’historique, très sommaire du 38ème RI(4) . Bien entendu, si les lieux sont précis (secteur de Doncière, du col de la Chipotte), le rapport des combats diffère quelque peu ; si l’on excepte le journal de Paulin Bert, la tendance est à minimiser les difficultés. Simon nous dit «Nous sommes sous le feu de l’artillerie ce qui est très dangereux et nous avons pas mal de blessés et de morts ».
Les Allemands abandonnent le terrain le 12 septembre. La ligne de front, dans ce secteur, se fixe sur une ligne qui va du col du Bonhomme à Nomény en passant par Ban-de Sapt, Senones, Celles-sur-Plaine, le col de la Chapelotte, Badonviller(5) . Elle ne bougera pratiquement pas jusqu’à la fin de la guerre, constituant un secteur relativement « calme ». On voit que Sarrebourg, l’objectif initial des combats, reste du coté allemand, la frontière n’est pas atteinte.
L’imprécision des informations sur les pertes est flagrante. L’historique parle de « pertes élevées », Paulin Bert donne le chiffre de 110 hommes manquant à l’appel de sa compagnie (200 hommes au départ) de 50% de pertes pour sa compagnie et plus de 900 pour le 38ème ces jours là. Le journal de marche du 86ème cesse de donner les chiffres après le 25 août, jour où il y a 16 tués, 289 blessés et 386 disparus. Et Simon, très laconique, parle de « pas mal de blessés et de morts ». Pour mémoire on est dans la période du 22 août(6) où il y eut, sur l’ensemble du front, près de 27000 morts français et un total de près de 40000 entre les 20 et 25 août.
Lucien Barrou cite le témoignage de George Guillen sur l’entrée dans Doncières :
« Samedi 12 On part pour aller enlever le village de Doncières, lorsque nous arrivons les derniers Allemands viennent de partir dans la nuit, le 221ème Régiment d’inf. énervé par une longue attente les charge à la baïonnette. Un horrible carnage s’offre à notre vue dans une prairie à proximité on voyait des quantités de cadavres autant de Français que d’Allemands, on les comptait par centaines. Dans une tranchée, une section entière du 15.7ème, couchés mais morts, plus loin 2500 boches sont étendus pele–mêle dans les tranchées, une odeur repoussante s’en dégage ; plus loin encore des soldats moitié enterrés, on aperçoit des intestins qui sortent et les têtes arrachées […]A l’entrée du village de Doncières, une trentaine de chevaux tués et des vaches. Doncières est complètement brulé, dans le village la lutte a été acharnée, les maisons sont remplies de cadavres dont on n’ aperçoit qu’un bras, qu’une tête au milieu des décombres. Là un Allemand et un caporal français tenant encore en main leur fusil baïonnette, instruments de leurs morts dont ils s’étaient mutuellement transpercés. [..] Je n’aurais jamais cru à ces horreurs et cependant c’est la petite réalité. » (7)
Le 11 septembre la 13ème armée reçoit l’ordre d’embarquer le lendemain à la gare de Darnieulles, à l’ouest d’Epinal, c’est là qu’ils ont débarqué un mois plus tôt. Paulin Bert parle du 9 et personne ne connait la destination. Ils partent dans trois trains et il manque de wagons, les soldats devront voyager debout… on voit que le parcours passe assez au sud alors qu’il y avait, peut-être, possibilité d’une voie plus directe…
Ils débarquent à Creil, dans l’Oise au nord de Paris, et le 38ème reçoit l’ordre de se déployer dans le secteur d’Estrée Saint Denis.
La bataille des frontières est terminée, la victoire de la Marne marque le coup d’arrêt de l’avancée allemande et on est dans la « course à la mer », période où chacune des deux armées tente de déborder l’autre pour la contourner. Comme son nom l’indique, cette « manœuvre » se termine face à la mer, vers Nieuport, en Belgique, aucune des deux armées n’a réussi ; elles vont se faire face et vont s’enterrer pour près de quatre ans….
La carte montre bien cette phase, chacun avance ses « pions », vu comme cela on peut se croire dans un Kriegspiel, les joueurs de Go connaissent très bien ce type de figure. Hélas, sur le terrain, les résultats sont beaucoup plus meurtriers…
[1] Site « géoportail », utilsation « avancée » pour avoir les cartes anciennes
[2] Journal de Paulin Bert lien : http://www.chtimiste.com/carnets/bert.htm
[3] Mémoire de Hommes, Journal de marche du 86ème d’infanterie, pages 29 et suivantes.
[4] http://jburavand.free.fr/historiques%20RI/RI038_Histo.pdf
[5] Source : Wikipédia, « la bataille de la Chipotte »
[6] Jean Michel Steg, « le jour le plus meurtrier de l’histoire de France 22 aout 1914 ». Fayard , 2013
[7] Carnet de Georges Guillen, pages 18-20, cité dans Barou Lucien, Mémoires de la grande guerre, tome 1 : 1914 pages 112, consultable en ligne sur le site des archives départementales de la Loire.
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