Recto
14 décembre 1914
Ma bien chère femme
Je viens de recevoir ta lettre du 7 décembre. Elle
m’a fait beaucoup plaisir. Je suis heureux d’ap
prendre que vous êtes en bonne santé toi et notre
chère enfant ainsi que toute la famille. J’attend
toujours de vos nouvelles avec impatience et je suis
heureux quand je peux lire une de tes lettres, aussi
je les désir toujours hardemment, ne me fais donc
pas languir et écris-moi le plus souvent qu’il
te seras possible. J’attend toujours avec impa-
tience de retourner auprès de vous, auprès de mes
deux êtres que j’aime par-dessus tout : ma
Jeannot chérie et notre petite Zizou que je suis
heureux de savoir si intelligente et bien portante
Quand je regarde sa photographie les larmes me mon
tent aux yeux et ma soif du retour devient
[à l’envers : Je t’embrasse ma Jeannot comme je t’em
brassais quand nous allions nous promener
au bois. Que de doux baisers nous y avons échangés
comme nous étions heureux]
Centre gauche
plus grande ; la guerre me parait plus odieuse
et ses conséquences de plus en plus néfastes. Quand
reviendront-ils les beaux jours que tu évoques
et que j’évoque aussi, souvent je songe à notre
bonheur passé et aux douces joies communes, aux
doux instants de notre toute jeunesse quand
nous allions nous promener tous les deux côte
à cote heureux de se sentir l’un près de l’autre
Que de doux baisers nous avons échangés, nous
étions sincères c’est pourquoi notre bonheur
était si grand et si doux à évoquer à présent
que le malheur nous sépare et nous oblige
de nous priver l’un de l’autre. Comme c’est
dure cela et si je m’y résigne, c’est que je ne
puis faire autrement, car sans ma Jeannot
que j’adore et mon petit ange de Zizou pour
moi la vie n’a plus rien de bon, mes joies
ne sont que près de vous deux, il ne peut en
Centre droit
être autrement. Quatre grands mois sans voir
ceux qui sont tout pour moi, 4 grands mois
être privé de leurs caresses et si c’était fini ?
Mais non il faut encore attendre et dieu sait
combien de temps. Comme c’est dure, comme
il faut se sermonner pour prendre un peu de
courage et tromper l’attente énervante qui me
mine et parfois me désespère. Mais il faut
réagir et ne pas se laisser aller. Osons espérer
une fin prochaine de tout ce malheur, osons
espérer le grand bonheur du retour, la douce
joie de nous retrouver et de reprendre notre
belle vie si tristement interrompue, ah ! quand
je songe à cela, quand je songe aux baisers que
nous échangerions, je ne puis m’empêcher de
pleurer, pourquoi ? Je ne sais. Pourtant
ma Jeannot il faut que je te gronde. tu n’as
point compris ce que je t’ai écris au sujet
Verso
de ton frère et tu souligne dans ta lettre le
mot encore qui composait une des phrases d’une
de mes lettres. Je n’ai point voulu te dire que
je trouvais mal que tu me cause de lui , pas
du tout, au contraire je tiens à avoir de ses nou
velles s’il est possible d’en avoir, ne crois pas que
ton frère est pour moi un indifférent, non cela
n’est pas et la brouille que nous avions ne peu
exister à présent que nous sommes tous les deux
dans une position dangereuse. Ton frère est
un peu le mien, il n’y a plus de querelle, ton
frère a droit à mon affection comme j’ai droit
à la sienne et ses c’est de tout mon cœur que
je fais des vœux pour que nous puissions nous
retrouver et nous embrasser comme des gens
que le malheur assagit.
Pour moi la situation est toujours la même
je ne peux pas dire que je me porte bien mais
[fin de la lettre au bas du recto, à l’envers]
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Entre cette lettre du 14 décembre et la précédente en notre possession, celle du 9, on constate un basculement : il y a une « décollectivisation » de la destination, celle du jour est réservée à Jeanne et seulement à elle. Ce courrier ne sera pas lu aux autres, il sera peut-être évoqué pour donner des nouvelles de la santé de Simon, très brièvement évoquée. C’est la première fois qu’il se fait si intime, la première fois qu’il écrit « Ma Jeannot chérie ». On l’a constaté, le temps lui dure, il s’agace de l’absence et semble persuadé qu’il n’est pas au bout de ses peines.
Il a fallu quatre mois, il le dit lui-même, pour arriver à cela. Il évoque également le problème de son beau-frère, Jeanne a sans doute rappelé la brouille qui existe entre les deux hommes. Nous n’avons, hélas, pas cette lettre. Simon se veut apaisant, il n’évoque que son désir de se réconcilier, le danger qui rapproche les êtres. Il n’a plus le discours qui se voulait rassurant dune possible capture par l’ennemi. Simon veut sans aucun doute mettre fin à cette brouille, qui devait être bien dérisoire face aux douleurs qu’ils connaissent,et en persuader Jeanne. Il emploie le terme «assagi », mot que l’on utilise plus souvent pour les enfants, qui renforce encore la futilité de la chose.
Nous savons, nous, à cent ans de distance, que tout espoir est vain, qu’ils ne se reverront pas (voir commentaire de la lettre du 16 novembre)
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