Recto
Mardi 19 janvier 1915
Mon cher Simon
J’ai reçu ta lettre du 14 et c’est moi
qui est tort je les prends. Je dois obéire n’en
parlons plus. Je n’ais pas eu raison de t’écrire
de la sorte tu as bien assez de suporter
les risques d’et et la vie terrible d’être
toujours dehors par tous les temp et d’être
séparer de nous. Mais vois-tu se qui m’as
emportér c’est de voire que l’Oncle trou
vais que de t’écrire deux fois par semaine
c’était assez. Qu’il voulait gouverner notre
nos gestes. Je suis libre de t’écrire tant
qu’il me plaira, je n’ai pas a écouter
les journaux. De crier de mon amour
a tous les vents si cela me plait cela
ne lui regarde pas. C’est de cette liberté
mal expliquer que je veux te parler.
Et dans cette affaire c’est toi qui as
payé ma colère. Que veux tu c’est
fait. Tu m’as bien fait plaisir que tu
Centre gauche
est bruler ma lettre la disension seras
finie. Je t’ai tout dis ce que j’avais sur le
sur cœur. Mais je te l’ai bien mal expliquer. Tu
as mal compris l’indifférence dont je te
parlait elle n’était pas de notre amour.
Mais bien des occupations de la maison
tu devais voire voire mon dégout quand tu
me faisait quelque reproche avec je t’ai répondu
plusieur fois que je m’en fichais. Mais tu
ne le comprenais pas pour toi ça devait être naturel
je ne connaissait pas le travail de la maison
quand je me suis mariée. J’étais bête a
ce sujet plutôt empailler et il aurais fallus
le faire comme une ménagère q marier depuis
vingt ans. Mon caractère ne me permettais
pas de supporter tous cela tu connaissais savais
combien j’étais enfant. Et dans une maison
où les habitudes Etaient loin d’être les
mêmes m’avaient rendu malheureuse.
Et surtout que je ne vivais que pour
toi . Le reste ne me touchait guère.
Et d’être sans cesse timonner et com
aNder m’avait aigrit. Le coup
a été final quand l’Oncle voulait
Centre droit
gérer notre la correspondance de notre amour
comme il faisait du reste. L’argent
je me fait rien. C’est toi que je veux
toi que j’aime. Et j’ai bien mal su
te le faire comprendre. Tu souffres
comme amoureux et pour moi il
en est bien de même. Et c’est bien
pour cela que je me suis révolter
comme tu me le dis. C’est notre
amour que je veux libre. T’aimer et
le seul but de ma vie. Je t’aime
autant que tu peux m’aimer pas un
instant tu ne cesses de t’ d’occuper ma
passer ensée . Mais enfin il en a fallu ça
pour nous contrarier. Il n’y avait rien
eu en presque Six mois. Ou nos pensées
sont la seule chose qui nous rapproche
et notre correspondance pour nous exprimer.
Mais quand il y a quelqu’un pour
voir et gouverner les paroles qu’on peut
se mettre et surtout pour mettre qui voudrait qu’on
n’envoie pas plus de lettres que ça lui fait il ne veuille
et bien moi ça ma tourner. Et mon
sang a bouillonner de voir que
notre amour allait être g mener par
un autre qui n’y comprenait rien
Verso
Deux lettre par semaine c’était bien asser disait il
pour se dire toujours la même chose. Quand on
s’aime que peut on se dire que toujours la
même chose. Eh ! bien alors se n’est pas la peine
d’écrire. Je discute des choses qu’on ne pourrait pas com
prendre vive voix. Il vaut mieux ne plus en
parler et toujours vivre loin ‘un pour l’autre. Et de
disposer de sa correspondance a notre sa guise sans tout
confesser comme tu me le dis. Cela ne m’arriveras
plus a te faire de la peine. Quand on n’est colère
on ne sait pas ce que l’on fait. Je n’ai pas écouter
de mauvais conseils puisque je n’en ai parler à personnes
et puis on ne m’aurais pas laisser te dire ce que je t’ai
dis Dans les moments ou nous sommes. Ou la vie
et si terrible. Enfin n’en parlons plus jamais
et tout seras effacer ne pensons qu’a notre
amour et espérer le retour. Ne te fais
pas de mauvais sang a ce sujet c’est passé
guéris je ne pense pas que tu m’en garderas
rancune. Pour finir ma lettre je ne
puis que te dire cette chose qui est toujours
la même. Je t’aime. Et t’aimerais toute
ma vie comme je t’ai aimer quand
nous allions au bois mon amour n’a pas
changer un instant.
En attendant a te lire de nouvaux
et te savoir moins ennyyer je t’embrasse
bien fort sur la bouche comme
autrefois. Mais cela reviendras. Mais
nous serons encore plus heureux. Nous
n’avons jamais été séparer.
Ta Jeannot qui t’aime de
Tous son cœur
Jan
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Cette lettre du 19 janvier marque, semble-t-il, un tournant dans la vie du couple. Elle fait suite à une lettre de Jeanne à laquelle répond Simon le 14 janvier, sans doute. Il lui apprend qu’il a brulé cette lettre…Quand on sait le plaisir qu’a Simon à lire et relire son courrier « ce moment qu’il passe avec ceux qui lui sont le plus chers », on peut penser que cette lettre était particulière.
Cette lettre du 19 est remarquable par la forme : beaucoup de fautes d’orthographe, cela est assez habituel avec Jeanne, mais ici encore plus… Il y a aussi beaucoup de ratures, d’ajouts (mis en exposant sur la transcription mais vous pouvez aller voir l’original…) Ces accidents sont localisés, ponctuels sur quelques lignes de temps en temps : il semble que ce soit dans les moments où elle s’ouvre davantage à Simon, lui dit sa peine, sa révolte. On constate aussi, entre la 3ème et 4ème page un resserrement des lignes (20 au lieu des treize de la demi-page précédente) et aussi une réduction de l’écriture. Ces choses montrent des changements d’humeur dans le temps de l’écriture et aussi un soin de relecture (les rajouts..) pour se faire bien comprendre , clairement, par Simon. Je n’irai pas plus loin, la graphologie est une science, parfois contestée, mais il y a un choc visuel à la première lecture qui est très net.
Je vous invite également à regarder la marge droite de la deuxième page, Jeanne se refuse à couper les mots ce qui amène une plongée vers le bas de la ligne assez étonnante.
Cette lettre, quand on la regarde sur le fond, nous raconte une autre histoire. Une histoire commune, la relation des nouveaux mariés et le regard de la belle-famille. Cela est valable pour l’un ou l’autre des nouveaux mariés. On apprend les difficultés des débuts de vie commune d’un couple : il semble que Jeanne ne soit pas une enthousiaste du ménage ! Souvenons nous qu’elle est ouvrière et que cela constitue sa «deuxième journée « comme on le dit aujourd’hui. Elle a accepté les remarques de Simon et lui rappelle qu’elle débute, qu’elle ne peut maitriser l’art de tenir un foyer comme une ménagère ayant de l’ancienneté. Mais on ressent derrière cela le regard de la famille, les remarques positives éventuelles mais plus souvent négatives qui sont faites, généralement au marié quand le couple est installé dans la famille de celui-ci. Souvent ces remarques sont indirectes et doivent être répercutées à l’épousée par le marié. Il semble, cela demande à être confirmé, que nos amoureux soient installés chez l’oncle de Simon : les jeux avec Zizou, son admiration pour sa petite nièce montre une proximité quotidienne. Ce frère ainé de son père semble avoir beaucoup d’affection pour lui, et cela dès sa naissance : le prénom est commun : Simon Pierre, il est son parrain et Simon le traite en « bienfaiteur » dans ses lettres « prend soin de l’oncle à qui je dois tant » répète-t-il à longueur de pages. La réciproque est vraie, le parrain se veut rassurant : en cas de problème, sa famille ne manquera de rien, sera à l’abri. Les lettres de Simon sont toujours adressées à l‘ensemble de la famille, mais un passage est toujours dédié personnellement à l’oncle. Quand Jeanne écrit, il y a toujours une page gardée pour l’oncle, il peut donc lire ce qu’elle écrit tout comme les courriers de Simon sont lus « publiquement ». Chacun peut penser ce qu’il veut de ce qui est dit mais Jeanne n’accepte pas le jugement sur le manque d’intérêt de ses écrits : « tu répètes la même chose, écrire deux fois par semaine est bien suffisant », sous entendant qu’il y a peut être mieux à faire, le ménage par exemple… Autre remarque : il n’y a aucun mot à propos de Zizou dans cette lettre.
On a vu que pour Simon, ce rythme serait bien insuffisant, il lui a déjà demande d’écrire deux fois par jour ! (voir lettre de Simon du 2 janvier ).
Cette lettre est donc une explosion de colère, de frustration, de douleur de l’absence. Elle « vide son sac » et déclare tout son amour, pour lui seul, sans que personne ne puisse le contester ni même le lire. Le fait que Simon brule la lettre précédente peut avoir diverses interprétations : il n’a pas besoin de la renvoyer, donc le risque qu’elle soit lue par d’autres est écarté ou alors c’est un geste de colère, la lettre du 19 devrait alors lui faire regretter son geste : il ne pourra pas la relire.
Quelle sera la conséquence de cette cassure ? Jeanne va sans doute quitter la maison de l’oncle, nous verrons si c’est évoqué dans les courriers. Une piste : un certain nombre d’enveloppes conservées portent l’adresse de Me Veuve Vachez. Il peut s’agir soit de sa mère (on recherche si elle a perdu son père entre 1911 et 1915) soit de sa tante, veuve déjà en 1911 et mère de la cousine avec laquelle elle travaille. Les deux maisons sont voisines, dans le bourg de Moingt.
Loin de moi l’idée de faire de la psychologie au rabais, ce sont quelques idées qui apparaissent à la lecture (sans pour autant avoir toutes les clefs). Cela montre les difficultés de vie des couples, cela montre que la guerre n’adoucit pas forcément les relations préexistantes, les gens non concernés ne comprennent pas automatiquement la douleur de cette jeune femme qui, finalement, n’a vécu que 18 mois avec celui qu’elle a choisi.
Cet aspect de la vie des « couples séparés » est étudié dans le livre de Clémentine Vidal-Naquet, elle y voit le début d’une réelle intimité, même si elle n’est qu’épistolaire. Elle constate, dans cette étude, les diverses stratégies inventées pour échapper au regard des autres. Nous verrons ce qu’il en est mais on peut dire que dans la relation entre Simon et Jeanne, janvier 1915 marque un tournant dans leur vie de couple.
Source : Clémentine Videl-Naquet : Couples dans la Grande Guerre, le tragique et l’ordinaire du lien conjugal, Les Belles Lettres, Paris, 2014, 677 pages
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