Recto
Bien le bonjour de mon Le 19 janvier 2015
camarade. Il va bien mieux aujourd’hui
Chère femme, chers oncles, parents
et frères
Je viens de recevoir votre lettre du 13 janvier
je suis content d’avoir de bonnes nouvelles de toute la famil-
le et de savoir que la maladie est inconnue pour tous ses membres.
Moi je continu à me maintenir. Hier soir on nous a fait
faire une petite marche sous la neige. cela est très inté-
ressant pour des soldats qui ont bientôt cinq 6 mois de
campagne et que l’on emmène dans un village pour
qu’il se reposent. il est vrai qu’à la fin de la semaine
nous devons retourner aux avants-postes. Enfin puisque
ça ne veux pas se terminer résignons-nous. Attendons !
Il y aura bien une fin. Souhaitons qu’elle soit le plus
tôt possible cat il y en a déjà bien qui comme moi en
ont par-dessus la tête. le nombre des victimes est déjà assez
élevé et c’est une honte pour toutes les puissances qui
sont du conflit que de poursuivre une guerre aussi
meurtrière. ils s’appauvrissent tout en voulant abattre
les autres qui sont contre eux. Cher oncle : en effet
l’on doit regarder au-dessous de soit pour tenir compte
de toutes les misères qui déjà existent. ceux qui peuvent
rendre service doivent surtout le regarder. Mais le
riche dans sa maison. Le dos au feu le ventre
Centre gauche
à table . Se moquent bien si les évènements pour les
pauvres sont impitoyables. Cela a toujours été ainsi
celui qui ne possède rien et tout désigné pour défendre
le bien des autres. Souvent l’on entend Le fils de mon-
sieur un tel et aussi au front mais on oubli de dire
qu’il est au village en arrière, qu’il a un emploi,
qu’il est conducteur d’auto ou secrétaire ou brancardier,
infirmier ; qu’il est enfin le plus possible à l’abri
du temps que les autres vont aventurer leur peau
dans les combats aux avants-postes. Que d’injus
tices. Nous n’y pouvons rien. D’après les journaux
nous voulons réduire l’Allemagne, moi j’ai bien
peur que ce soit la France qui paye tous les pots
cassés. Enfin ! de quoi je m’occupe, je ne dois pas
regarder cela, on me dit de marcher, je n’ai qu’a
marcher : Ma famille : un soldat doit l’oublier
Vous ne voyez pas : un soldat qui pense à sa femme
a son ou à ses enfants mais qui défendrait les grosses
propriétées, ce n’est certe pas celui qui les possède,
cela n’a rien a faire. Vive la République française
si pleine de justice.
Parlons d’autre chose :
Je suis content que mon frère Louis ai enfin reçu
une de mes cartes et je suis aussi très content
qu’il soit à l’abri et je serais aussi bien heu-
reux d’apprendre que mon frère Georges soit
Centre droit
lui aussi exempt de service. Bien le bonjours
à ma cousine Clair et à son mari quand elle
lui écrira, bien des choses à l’oncle de la Cra-
ze et à mes parents que je n’oubli pas, j’espère
que mon père ne tousse pas trop, Il est bien
embêtant que Joanny n’ai pu se procurer du
travail ! Bien le bonjours à mon patron et
à tous les amis.
Décidément monsieur Avis a de l’idée, surtout
avec son esprit de largesse et de d’idées il lui
sera facile de se faire une clientèle pour boire
son vin. Sa femme très avenante et surtout
vaillante trouvera un moyen de plus de s’oc-
cuper. Son neveu doit être faible de constitu
tion puisqu’il est ajourné, espérons que l’on
ne trouvera pas mon frère plus fort.
Ma Jeannot chérie
Ton petit homme ne t’oubli pas un seul
instant, il pense continuellement à sa
femme qu’il adore et à se charmante petite
Zizou. Comme le temps me dure de vous re
voir, de reprendre ma place près de vous
d’avoir à nouveau vos caresses après lesquelles
je languis de plus en plus comme ça
m’est dure d’en être privé et avec qu’elle
Verso
joie je verrais revenir notre bonne vie passée
notre bonne vie si cruellement interrompue.
Espérons ! espérons cela le plus tôt possible
car ça devient de plus en plus pénible à me-
sure que ça s’allonge. Au revoir ma
Jeannot. Je t’aime toujours de tout mon
être . Je t’embrasse bien tendrement, notre
Zizou aussi. J’attend toujours tes lettres
Cher oncle : je t’embrasse bien fort en
Attendant de te lire à nouveau et je te
remerci pour tout ce que tu fais pour moi et
les miens. J’espère que la santé continuera
à être excellente dans toute la famille et
que rien de fâcheux ne se produira pour aucun
de ses membres que nous nous retrouverons
tous, à la fin, tous bien portants. Encore au revoir
Votre mari, fils, filleul et frère qui
Vous aime et pense à vous :
Simon Collay
Si vous voulez m’envoyer quelque chose, envoyez
moi quelques boites de conserve, pas de chocolat
pour le moment. Du fromage oui, du saucisson
si vous voulez. Merci
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Dans cette lettre du 19 janvier on constate que les thèmes abordés sont plus sensibles…
L’ensemble est surtout consacré à la santé, à Zizou et à la famille mais il montre, sur quelques lignes, un vif ressentiment envers les politiques, les buts de la guerre, les embusqués et la considération de la hiérarchie vis-à-vis des hommes de troupe.
On pourrait penser que cette lettre, par cette colère qui ressort, aurait pu être censurée, qu’elle puisse amener des ennuis à celui qui l’écrit. Les choses ne sont pas si simples.
Les instructions faites aux soldats, dès août 14, sont de ne pas se localiser ni de donner des indications sur leur unité. On a pu constater que Simon respecte la règle, on ne sait pas, à la lecture du courrier, où il se trouve.
En janvier 1915 l’état major fait évoluer les choses : « Il sera organisé dans chaque armée un contrôle de la correspondance par des visites inopinées dans les bureaux de la trésorerie et des postes. Ces visites seront faites par des officiers du service des renseignements de chaque armée, accompagnés d’un ou plusieurs agents de la sureté générale […] »( Note 7915 du 26 janvier 1915) Le but est clairement affiché : on veut connaitre l’état de l’esprit public en France. L’état major se plaint d’ailleurs du manque de retour des informations.
Les choses se précisent et on établit une fiche thématique de ce qui est abordé dans les lettres, chaque thème est affiné en sous-groupe :«Les rapports des commissions de contrôle postal sur la correspondance militaire indiqueront ce qu’expriment les correspondances, en particulier sur les sujets ci-dessous :
A : Hygiène :
1 : Intempéries, état des tranchées, aménagement ;
2 : Nourriture, habillement ;
3 : Etat sanitaire ;
4 :Cherté de la vie, mercantis, coopératives ;
5 : Influence des affaires personnelles sur le moral de la troupe ;
6 :Réception des lettres et colis ;
7 : Autres sujets qui frapperont le contrôleur.
B : La Guerre
1 Conduite, outillage, engins, différentes armes, aviation, gaz, opérations faites ou prévues,pertes ;
2 Mesures générales : avancement, croix, permissions, sursis, embusqués ;
3 Exercices et travaux ;
4 Ordres généraux, jugements sur les chefs ;
5 L’avenir : a) optimisme : forme des vœux pour la victoire, raisons de la confiance ; b)découragement et ses causes ;
6 Sentiments guerriers ou antimilitaristes, vengeance des morts, haine des Allemands ;
7 Censure ;
8 Espionnage, suspects ;
9 Opinions subversives ;
10 Divers.
C: Affaires extérieures
1 Opinions sur l’ennemi et sur les neutres ;
2 Rapports avec les Alliés.
D L’arrière
1 Rapports avec les civils, influence des permissions»
La naissance et le développement du contrôle postal militaire des correspondances montrent qu’après un début laborieux durant l’année 1915, l’institution atteint progressivement sa maturité organisationnelle au cours de 1916, que concrétisent les instructions de décembre de la même année. A ce moment, les rapports décrivant les opinions et le moral des combattants reçoivent leur forme quasi-définitive ; de par leur structure, leur fréquence, leur nombre, ils constituent désormais un très utile instrument d’investigation, apte à recueillir et traiter un nombre considérable d’informations. Le commandement y recourt pleinement lors de la crise de 1917 et s’en sert très régulièrement ensuite jusqu’à la fin du conflit pour ausculter l’état d’esprit des troupes.
Autre difficulté, les effectifs de lecture qui semblent bien légers : l’effectif total des commissions (pour les correspondances militaire et civiles) est de cent cinquante et un officiers et quatre cent soixante-quatorze lecteurs et cent vingt manipulateurs, l’effectif jugé normal (et donc souhaitable) étant respectivement de cent soixante-trois, cinq cent quatorze et cent dix-huit.
Les horaires d’un lecteur sont, d’après un exemple précis, de 7h à 11h puis de 13h30 à 17h30 tous les jours, le dimanche après-midi étant « en principe» de repos . Si l’on se fie aux réponses de la commission de contrôle (sise à la gare régulatrice) de la IVe Armée apportées en octobre 1916 à un questionnaire du G. Q.G un lecteur serait capable de lire en moyenne 400 lettres par jour. Les instructions de décembre 1916 se contentent de demander un taux de 250 lettres par jour.Les comptes montrent que le panel lu est bien faible au regard de la masse de courrier qui circule. Que risque-t-on si le courrier ouvert n’est pas « normal ». Les sanctions possibles font l’objet de discussion entre politiques et militaires car la guerre ne doit pas faire oublier que l’on est en république. Seules les infractions graves sont répréhensibles : « Tout acte d’espionnage révélé par le contrôle postal doit entraîner une sanction judicaire. Les lettres contenant des indiscrétions d’ordre militaire seront arrêtées et leurs auteurs punis.Des sanctions seront prises contre les militaires qui abuseront de la franchise postale pour l’envoi de lettres ou d’imprimés de commerce, qui enverront des cartes postales illustrées susceptibles de fournir des indications militaires ou qui, relevant d’un secteur postal, feront usage de la poste civile.
Aucune punition ne devra être prononcée pour d’autres motifs.»
Le règlement de juillet 1918 revient sur la question, y apportant un développement qui l’infléchit et semble chercher à renforcer les prérogatives de l’autorité militaire face aux droits individuels : « Aucune punition ne devra être prononcée pour d’autres motifs. Un militaire ne doit pas être puni pour des opinions émises dans sa correspondance privée. Seulement dans le cas où une lettre, ouverte par le Contrôle Postal, révélerait un état grave d’indiscipline contre lequel il serait
absolument indispensable de réagir, la lettre devrait être transmise par les Chefs hiérarchiques, avec avis motivé, au Général Commandant en Chef pour être soumise à la décision du Ministre. »
La rédaction contournée reflète la complexité des enjeux. En dernier recours cependant, l’autorité ministérielle tranche en ce domaine primordial.
Qu’aurait pensé la censure des thèmes abordés par Simon ? Plusieurs cases de la fiche de contrôle auraient été cochées :
Il critique les officiers qui font faire des exercices ridicules pour des gens aguerris.
Il aborde l’aspect meurtrier de la guerre et critique la politique menée par le (les ) gouvernement(s).
Il critique les buts de la guerre : on protège les riches, on défend leurs biens avec notre peau.
Il critique les embusqués, « planqués » à l’arrière ou dans des emplois à l’abri, tout en espérant toutefois que ses frères échappent à la conscription.
On est dans de la critique simple, d’un homme qui voit s’allonger la guerre et a perdu les illusions de la guerre courte. L’état-major y aurait sans doute vu une baisse de moral (là aussi il y avait des normes : Très Bon , Bon, Assez bon ou Médiocre)
Il n’y a pas d’information militaire ni d’incitation à la rébellion…Les lecteurs l’auraient signalé comme représentant d’un état d’esprit général, sans plus. Cela de toute façon, avec le recul de plusieurs mois d’expérience du service de lecture des lettres. En janvier 15, le service se met tout juste en place donc cela est passé comme…une lettre à la poste !
Source : François Guy André LAGRANGE , MORAL ET OPINIONS DES COMBATTANTS FRANÇAIS
DURANT LA PREMIERE GUERRE MONDIALE D’APRES LES RAPPORTS DU CONTRÔLE POSTAL DE LA IVème ARMEE, Thèse ParisIV Sorbonne 2009, 1496 Pages.
Téléchargeable : http://www.theses.paris-sorbonne.fr/these.lagrange.pdf
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