Recto
. 5 décembre 1915
. Ma Jeannot chérie
. Nous sommes sur le point de quitter le village où
nous avons cantonné si longtemps. Nous allons nous
mettre en route pour nous rapprocher des avants-postes
je serai chargé comme un mulet car il nous faut
porter tout notre fourbi. Il ne fait pas trop froid
ce matin, il ne pleut pas pour le moment mais
je ne crois pas que ça passe la journée sans que nous
ayons de beau ; ce soir nous allons coucher dans
un petit village, demain j’ignore où nous irons
. 6 décembre 1915
. Chère petite femme
. Hier j’ai été interrompu, il a fallu manger et se
mettre en route. Nous avons eu assez beau temps pour
marcher, nous sommes arrivés à la tombé de la nuit, nous
étions très fatigués. Nous avons couchés dans un grenier
sous les tuiles que le vent très fort qui s’était levé traver-
sait avec facilité, notre litière était maigre, nous
avions les côtes un peu sur la dure mais la fatigue
nous a facilité le sommeil. Comme nous nous y atten-
dions nous n’avons rien pu trouver à manger dans
ce village et pourtant l’ordinaire était maigre, nous
n’avions que très peu de pain. Ce matin nous restons
au village. Ce soir je crois que la compagnie va se
partager en deux ; la moitié va partir à la tombée
de la nuit pour se rendre aux avants-postes, l’autre
moitié couchera encore ici et demain prendrait la
Verso
route pour aller au village où doit résider le colonel
Moi je ferais parti de l’heureuse moitié.
Voilà le programme qui a court pour le moment, se réalise-
ra-t-il ? Je ne sais et j’attend. La santé n’est pas mau-
vaise, quoique je sois quelque peu fatigué. J’espère
et je souhaite que ma lettre trouvera mes deux gosses
bien portantes ainsi que tous ceux que nous aimons.
Hier je n’ai pas eu de lettre de toi, j’espère qu’au-
jourd’hui j’aurai le plaisir de te lire. Le vent est
très fort et il pleut quelque peu, vilain temps
nous pataugeons dans beaucoup de boue.
Ma Jeannot décidément la vie actuelle n’est pas
belle, aussi je m’ennui beaucoup loin de toi et de notre
petite Zizou toujours j’attend que quelques nouveaux
évènements nous permettent d’espérer une paix pro-
chaine. Hélas ! plus ça va plus ça s’embrouille. C’est
à désespérer de voir revenir notre bonheur, notre vie
commune. Voilà le 16ème mois que nous vivons séparés
que nous attendons d’être à nouveau réunis. C’est bien long
bien trop long et je suis bien las d’une pareille exis-
tence ! La Paix vivement, nous la désirons tous
et sommes énormément impatients de la voir reve-
nir. Au revoir ma mie des bois. Ton Simon t’aime
bien et désire hardemment reprendre sa place près de
sa Jeannot et de sa Zizou. Embrasse la bien notre gosse
pour moi. Bien des choses à chez toi et à mes pa-
rents. Bonne santé à tous et que j’ai le bonheur
de vous être rendu le plus tôt possible.
Ton petit homme qui adore ses deux chéries
et qui attend toujours l’heureux jour
Je t’aime de toutes mes forces. Un million
de bien doux baisers et de bien tendres caresses
a ceux que j’ai de plus chers au monde .
Jeannot et Zizou Collay
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