Recto
30 janvier 1915
Ma Jeannot chérie
J’ai reçu avant-hier soir ta lettre
du 25 et hier celle du 26. Décidément
nous n’avons pas de chance, tu n’a-
vais pas assez d’avoir mal aux pieds
il faut que tu sois grippée par-dessus
Centre gauche
le marché. Soigne-toi, on ne parle
pas d’économies quand l’on est malade
ce qu’il faut économiser avant tout
c’est la santé. Avant de reprendre ton
travail attend d’être complètement
guérie. Ne fais pas d’imprudence
il te faut de la chaleur tiens-toi chaude
j’ai reçu une lettre de mon frère Joanny
qui me donne de bonnes nouvelles de
chez moi. J’ai aussi reçu une carte de
mon frère Louis qui se porte toujours
bien, il me dit qu’il y a déjà quelques
jours qu’il est sans nouvelle de la fa-
mille.
Pour moi rien de changé. Hier
matin nous avons passé une revue
d’armes par le chef armurier, le soir
nous sommes allés travailler très loin
dans un bois. Aujourd’hui je ne
sais pas encore ce que nous allons
faire. C’est dimanche il est 7h ½
peut-être aurons nous repos. Il ne
Centre droit
fait pas chaud, j’ai les doigts gelés ce qui
n’est guère commode pour écrire.
Mon oncle m’a écrit et m’a envoyé
5 f. C’est toujours ça de pris.
Pour les permissions on dit que
c’est tout changé et j’ai bien peur
qu’au lieu d’aller vous embrasser le
mois prochain, d’être forcé d’attendre
3 mois. Aussitôt que je serai sûre de
ce qui sera décidé je te l’écrirai
Je ne voudrais pas que ce soit chan-
gé car le temps me dure bien de
revoir mes deux gosses chéries et
tous les parents. Pourquoi sommes
nous forçés de vivre ainsi séparés ?
C’est bien cruel et bien dure et le
temps me dure bien de voir finir
cette affreuse guerre qui menace de
trainer en longueur. Enfin ! atten
dons et patientons puisque nous ne
pouvons faire autrement. Peut-être
aurons nous le bonheur d’êtres à nouveau
Verso
réunis et pour toujours. Que les évé
nements m’épargnent et tu verras
petite femme que nous serons encore
heureux avec notre petite Zizou que
tu embrasseras bien fort pour son
papa. Soigne-toi bien et guérie
vite. Au revoir ma mie des bois
ton petit homme pense à toi
toujours et t’envoi mille millions
de baisers et de bien douces caresses
en attendant impatiemment
d’apprendre de bien meilleures nouvelles
de sa Jeannot. Bien le bonjour
à ta mère, grand-mère ; à chez
moi si possible. Bonne santé a
tous. Vivement la Paix
Ton Simon qui t’embrasse
bien tendrement en attendant
de te revoir et bien portante.
Simon Collay
J’ai les doigts gelés.
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Simon parle du quotidien entre deux montées au front : revue, exercice, travaux. Il reste discret sur ce qui se passe lorsqu’il est aux avant-postes. La météo n’est pas très favorable, le froid s’est installé.
L’évolution des relations familiales transparait, sans que ce soit très précis : on constate la personnalisation de la lettre, uniquement dédiée à Jeanne, ce qui était déjà arrivé, mais on apprend aussi que Simon a reçu 5 francs de son oncle. Il y a donc un envoi personnel de son parrain alors que jusqu’à présent il prenait une partie de la page que Jeanne écrivait. Est-ce la seule conséquence du « clash » arrivé en milieu de mois ? Jeanne a-t-elle changé de domicile ?
On constate aussi qu’il fait « donner le bonjour » à la mère de Jeanne, à sa grand-mère, il précise « à chez moi, si possible ». Faut-il en conclure un éloignement géographique de Jeanne et de sa belle famille ? Celle-ci étant sur Montbrison alors que les Vachez sont sur Moingt. Enfin, Simon ne donne pas la formule rituelle « prends soin de mon oncle à qui nous devons tant »….
Le rythme des lettres écrites est soutenu : une lettre par jour, sans doute pour Jeanne, une tous les deux jours pour Simon. Il n’y a aucune raison de penser que cela change dans les semaines qui viennent. Hélas nous ne pouvons pas le prouver car il y a une énorme lacune : pour le mois de février 1915 : deux lettres de Jeanne, les 11 et 12 et une seule de Simon, datée du 27… Il nous faudra donc attendre pour voir comment évolue la situation pour notre couple, que ce soit sur le front ou dans la Loire.
Ce n’est donc pas un abandon de notre part, simplement l’absence de matériel !
Rendez-vous dans une dizaine de jours…
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