Recto
27 février 1915
(à l’envers : le patelin où je suis s’appelle Thourotte de là nous[…]
Ribécourt)
Chère femme, cher oncle, chers parents
Ma Jeannot : je viens de recevoir tes lettres du 14 et
16 courant. Je suis content de savoir toute la fa
mille en bonne santé. Je continu a toujours bien
me porter. Depuis hier soir nous sommes en repos
dans un village un peu à l’arrière, en repos, manière
de dire, car nous serons très occupés soit a faire des
marches soit à creuser des tranchées, hier en arrivant
il fallut que nous fassions une patrouille dans le vil-
lage et les environs pour faire éteindre les lumières
et faire fermer les débitants. Nous devons, parait-
il, rester 8 jours dans ce patelin que je n’avais vu
que quand j’avais été malade ; après cela nous irons
8 jours dans l’autre village où nous etions bombar-
dés tous les jours et de là : aux tranchée à nou-
veau. C’est charmant ! Oh ! combien…mais je croi
bien que je vais prendre des cheveux blancs car
je suis passablement abruti, par moment je pen
se que ceux qui sont morts sont les plus heureux et il
faut le souvenir de ma femme et de notre Zizou
pour chasser ces vilaines réflexions. Quand donc
[arrivera-t-)elle cette paix tant désirée par tous. Hélas
il faut encore beaucoup de patience pour atteindre
ce résultat de tant de massacres et de misères
Verso
et quel résultat ?. Patientons ! essayons d’avoir du
courage . Quand de ce qui en n’est pour ton cousin
Vacher malgré ce que tu me dis je le trouve malheu
reux, il était bien avec les prisonniers, il leur serrait
la main : je ne trouve là rien de mal. Si les bo-
ches tuent les notres, nous nous tuons les leurs, c’est
réciproque, ils ne sont pas plus sauvages que nous
La faute en est aussi bien à notre gouvernement
qu’au leur, ils sont victimes comme nous, c’est
l’écrasement de la classe inférieure par la classe
supérieure. Jamais je n’ai tant vu d’injustice que
depuis que je suis à la guerre, jamais je n’ai tant
compris la bêtise des ouvriers pleins de gueule
mais sans effets. Je trouve vraiment extraordinaire
qu’on ne sache toujours rien au sujet de ton frère, depuis
le temps nous devrions savoir à quoi nous en tenir.
J’ai reçu une lettre de Joanny, il s’est décidé a
prendre la plume pour m’écrire, il me dit que notre
copain Thinet a la fièvre typhoïde, j’espère que
ce ne sera pas grave et qu’il se remettra complète-
ment pour la fin guerre. Veuillez lui dire, a
mon frère, de me tenir au courant des nouvelles
la santé de notre cher copain et de donner le
bonjour à tous les camarades qui sont en relation
avec lui.
Et notre Zizou ? notre chère gamine, comme le
temps me dure de la revoir ainsi que tous mes
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Un long silence : combien de lettres de Simon nous manquent ? On sait que les lettres de Jeanne du 13 et 14 ont disparu. Simon s’est enfin résolu à parler de la guerre, il cède à la demande de Jeanne qui montrait sa frustration de ne pas savoir où il était ni ce qu’il faisait. Il obéissait sans doute aux instructions de ne pas donner ce genre d’information mais on a vu, par des amis de Jeanne, que ces instructions étaient peu suivies, la censure montrait largement ses limites face à la masse de courrier, l’autocensure était finalement plus efficace.
Nous savons désormais qu’il se trouve, selon le moment, à Thourotte ou à Ribécourt, villages situés dans la région de Compiègne. Nous n’avions, jusqu’à présent, pas donné d’informations sur ce qui se passait, le choix était de ne le faire qu’à travers le courrier de Simon. On a pu voir ce qu’il disait sur ces sujets. Maintenant qu’il a levé une partie d’un voile nous allons pouvoir le suivre « géographiquement ». Les livres de marche du régiment sont utilisables (ils ne commencent que fin novembre 1914 pour le 38ème) et nous pourrons ainsi confronter ces deux sources. Cela permettra également de maintenir le fil de ce site, en effet nous sommes dans une période où les lettres sont rares, où elles ont disparu : il n’y en a que 2 en mars de Simon, aucune de Jeanne avant le 11 mai…
Est-il raisonnable que Simon parle de ce qu’il vit ? Le mot « massacre » utilisé est particulièrement explicite. L’autocensure, au-delà de l’information qu’elle peut donner à l’ennemi, préserve la famille. On sait par un des courriers de Jeanne, que des convalescents rentrés au pays parlent, et parfois en termes crus. Le frère de Jeanne a été touché par un obus, on le lui a rapporté, mais elle est toujours dans le déni en attendant un avis officiel….
Cette lettre montre un jugement particulièrement dur sur les politiques qui ont choisi la guerre mais aussi sur les ouvriers qui n’ont pas su l’éviter, sur l’internationale ouvrière qui a montré son impuissance malgré les voix qui se sont élevées. Simon est artisan peintre dans une région très industrialisée et se démarque ici du monde ouvrier.
Cette lettre semble ne pas être finie, il respecte son habitude de parler de Zizou avant de conclure et de signer ; ici ce n’est pas le cas : manque-t-il une page entière ou quelques lignes sur un billet complémentaire comme nous en avons déjà eu ? ( voir lettre de Simon du 29 octobre)
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