![Nous sommes tous rentrés in- demnes quitte pour une petite frayeur.](https://lettres1418.org/wp-content/uploads/13-27-avril.jpg)
Les obus sont rappliqués
. 27 avril 1916
( en haut à gauche :
Simon
Collay)
. Ma Jeannot chérie
. J’ai reçu hier soir ta lettre du 22 courant et
je suis content de savoir que mes deux chéries, ainsi que
tous ceux que nous aimons se portent bien. Espérons
qu’il en sera toujours ainsi et que le travail que tu
me dis guère brillant se maintiendra tout de même.
Vous avez toujours mauvais temps, c’est bien embêtant
mais sans doute qu’à présent vous avez le soleil comme
nous l’avons ici. Rien de changé pour moi. Je me
porte toujours assez bien. L’artillerie nous a joué
quelques petites surprises : hier dans la journée et le
soir que nous étions en dehors des tranchées à placer
des fils de fer : les obus sont rappliqués et le moulin
à poivre a fonctionné, nous sommes tous rentrés in-
demnes quitte pour une petite frayeur. Toute la
nuit ces maudits bôches tiraillent et lancent des
fusées. ils sont très désagréables, ils peut-être la
frousse ou alors ils s’amusent. Nos petits postes sont
assez rapprochés les uns des autres. La nourriture étant
assez difficile à apporter à cause de la longueur du
chemin, n’est pas très abondante ; heureusement qu’il
nous reste un peu de nos colis ce qui range la situation .
Pour mieux la ranger il nous faudrait la paix.
La Paix que nous attendons depuis si longtemps
est dont malheureusement je ne vois pas encore la solu-
tion proche. Combien aurons-nous encore de mois a
vivre si loin l’un de l’autre, à se désirer toujours en
vain. Tu me dis que les Russes sont arrivés sans doute
pour en finir une bonne fois. Je ne sais trop que penser
et je ne vois pas trop ce qui ce mijote, en attendant les
massacres se poursuivent, les victimes s’accumulent
et la vie devient de plus en plus difficile pour les pau-
vres gens ; il est vrai qu’il y en quelques uns qui profi-
te de cette affreuse situation et souvent avec des moyens
plus ou moins dignes et honnêtes. Il est vrai qu’il y a
toujours eu la moitié du monde pour se foutre de l’au-
tre moitié et ce n’est pas prêt de changer. Enfin !
Résignons-nous et attendons plus ou moins patiem-
ment c’est la seule solution qui nous soit offerte ; nous
gens du peuple sans fortune nous ne sommes pas encore
assez intelligents, nous ne savons pas assez nous unir
pour en trouver une autre. Au revoir ma mie des
bois. Ton petit homme ne t’oubli pas un instant et
t’envoi ses plus doux baisers, ses plus tendres caresses en
attendant l’heureux jour si long à venir. Embrasse-bien
notre Zizou. Bien des choses à toute la famille. Bonne
santé à tous et fasse que la destinée ne soit pas plus
cruelle pour nous. Je t’adore et j’attend impatiemment
Souviens-toi ! Mille bises sur tes lèvres. Je t’adore !
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Dans cette lettre Simon fait allusion au « moulin à poivre » alors qu’ils étaient hors des tranchées en train de poser des fils de fer. Il s’agit en fait d’une dénomination de la mitrailleuse. D’autres mots sont parfois utilisés : moulin à café, machine à coudre ou encore machine à découdre[1]. La référence est directe au bruit régulier que fait cette arme « tatata… » et aussi au mouvement rotatif de certains modèles. Cette arme est d’une redoutable efficacité et la phrase que l’on trouve plus loin « quitte pour une petite frayeur » minimise ce danger, sans doute pour ne pas alarmer Jeanne. On peut considérer, en réalité, qu’il l’a échappé belle….
![auteur François Déchelette](https://lettres1418.org/wp-content/uploads/dico-argot-poilus.jpg)
Dictionnaire paru en 1918
![Surnommée moulin à poivre](https://lettres1418.org/wp-content/uploads/mitrailleuse-allemande.jpg)
Mitrailleuse allemande
[1] Déchelette, François, L’Argot des Poilus. Dictionnaire humoristique et philologique du langage des soldats de la grande guerre de 1914, Paris, Jouve et Cie, 1918. (Merci à Poneytte Edel, Fbook, pour l’information)
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