Recto
24 janvier 1915
Chère femme, chers oncles, chers pa-
rents et chers frères
Je souhaite et j’espère que ma lettre vous
trouve tous en excellente santé et que rien de contra-
riant ne ce soit produit pour aucun membre de
la famille, que ma chère femme, mes deux
oncles et mes parents se portent à merveille.
Quand à mon chérubin de Zizou elle doit con-
tinuer à profiter et a devenir tout plein gen-
tille. Je me porte bien et suis toujours dans ce
village que les bôches arrosent de temps à autre
de leurs obus. je ne sais quand nous repren-
drons place dans les tranchées d’avants-postes,
pour le moment nous sommes à l’abri de la
pluie et du froid. Ce matin on nous a fait
faire un peu d’exercice et dans la soirée nous
avons enlevé la boue d’un chemin encaissé
qui conduit dans les postes que nous devons
Centre gauche
occuper en cas d’attaque. Presque tous les
soirs, depuis quelque jours, nous nous offrons
un petit extrat, quand quelque debrouil-
lard de l’escouade parvient à dénicher soit
un lapin, soit des frites qu’il réussit à se
faire préparer par une femme, nous n’avons
jamais pu nous procurer une poule, nous
buvons quelques litres qui nous compensent un
peu du temps où nous n’avions même pas
de l’eau à volonté. Nous sommes aussi plus
propres, car on trouve à faire laver son linge
et l’on peut se débarbouiller soi-même.
A part nos capotes rapées, nous serions pres-
que bien habillés : j’ai un pantalon neuf
et des souliers neufs aussi. Seulement mal-
gré tout cela nous en avons tous assez.
Nous attendons tous un évènement qui
abrège la situation, car vraiment ça se
fait tout à fait trop long et après tout ce que
nous avons fait, endurer et souffert aussi
bien moralement que physiquement
Centre droit
en haut c’est la tranquilité à laquelle nous avons
droit, qu’il nous faudrait : il y a des régiments
qui ne savent pas encore ce que c’est que la
guerre qu’attend-t-on pour nous remplacer par
des troupes fraiches, nous en avons pourtant
plus que notre portion. Enfin ! espérons la
fin de la guerre qui serait préférable à tout
autre chose, car malgré qu’on ne se batte pas
il ne se passe pas jours sans qu’il y ai des
victimes, dans les endroits où l’on se bat bat
c’est autre chose ! c’est terrible ! je sais ce que
c’est, il n’y a pas beaucoup de temps que j’y
ai vu et passé. Espérons tout de même ! il
n’y a que cela pour nous permettre d’attendre
une situation meilleure qui se fait bien atten-
dre. Attendons ! attendons toujours.
Chère femme : ton mari attend avec im-
patience de pouvoir te rejoindre et reprendre
notre bonne vie passée, car c’est vraiment
bien dure de vivre loin de tous ceux que
l’on aime, loin de ceux que l’on chéri le
plus ; notre chère enfant doit être bien
Verso
drôle et le il me tarde de la voir et de con-
naître ses caresses, j’ai laissé un bébé et je
vais retrouver une petite demoiselle. Je
vous embrasse bien fort toutes les deux.
Cher oncle : j’espère que ton travail mar-
che à souhait et que rien ne t’embête, que
la vie est toujours facile pour tous ceux qui
font parti de la famille, que ton diabète te
laisse du repos, que mon père ne tousse pas
beaucoup, que ma mère se porte bien ainsi
que l’oncle de la Craze et ma belle-mère.
Je te remerci à nouveau pour tous ce que
tu fais pour moi et les miens et j’attend
impatiemment de te revoir ainsi que tous
ceux que j’aime et qui me sont chers. En
attendant je vous embrasse tous bien fort
et attend avec impatience d’être près de vous.
Au revoir ! au plus tôt de vous relire.
Simon Collay
(à l’envers : je voudrais savoir si vous avez installée la cuisine
au premier. Si la maison de la rue Précomtal
est louée et si l’on ne sait sait rien de nouveau au sujet
de mon beau-frère.)
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