Recto
. 22 mars 1917
( en haut à gauche : Je te renvoi/3 cartes et une/
lettre fais savoir/quand tu les recevras)
. Ma petite fenotte chérie
Hier soir j’ais reçu tes deux lettres du 17 et 18 courant
C’est avec plaisir que je lis tes lettres que j’attend toujours
avec impatience. Tu me dis que tu es très énervée et que
tu as des crampes d’estomac. Il ne faut pas t’énerver ma
Nonot, çà n’avance à rien, il faut essayer d’êtres calmes
pour attendre l’heureux jour de la Paix qui peut-être
n’est pas très éloigné. Patientons encore quelque peu ; çà ne
peut pourtant pas durer indéfiniment. Notre Zizou est
toujours bien portante mais de plus en plus diable et po-
lissonne : il faudra tâcher de la corriger car ça ferait un
petit garnement terrible. J’ais bien essayé de lire sa lettre
mais je n’ais pu la déchiffrer je ne comprend pas du tout
Je te serais donc reconnaissant de me l’expliquer quelque peu
. Vous avez un bien vilain temps vous aussi. Aujourd’hui
il tombe de la neige, il en a tombé aussi cette nuit et il
ne fait pas chaud du tout, cette nuit j’ais eu froid et a
Verso
présent j’ais les pieds gelés. Drôle de temps tout de même.
Nous n’avons pas déménagé hier, nous sommes encore
dans le même patelin. Je ne crois pas que nous y restions long-
temps, peut-être trois ou quatre jour.
. Mamie chérie. Il ne faut pas te faire du mauvais sang
pour moi car pour le moment nous sommes à l’arrière et
bien à l’arrière depuis que les bôches ont reculé. Certe nous
n’y sommes pas pour jusqu’à la paix mais le temps qui
passe et toujours passé. Les jours passés je contais voir les
bôches de près mais il n’en a rien été : ils sont partis bien
trop vite devant un autre régiment de la division qui n’a
presque pas eu de perte dans la poursuite, tout s’est donc
bien passé pour nous jusqu’à présent, il n’est qu’a souhai-
ter que ça dure et que la Paix tant désirée et tant attendue
vienne le plus tôt possible. J’attend impatiemment, il me
tarde de reprendre ma place près de mes deux gosses chéries
que j’aime de toutes les forces de mon être. Que nous serions
heureux si ça pouvait vite finir, quel bonheur que de
revivre ensemble des jours plus heureux avec notre gentille
gamine que nous élèverions et chéririons en commun. Espé-
rons ! … Il me semble que c’est le commencement de la fin.
Il y a eu beaucoup d’évènements importants ces jours-ci qui
peuvent êtres le prélude de ce que nous attendons depuis si
longtemps. Certe il va falloir encore des coups dures mais j’ais
confiance pour la paix cette année. Il est à espérer que la
chance ne nous abandonne pas et que nous nous retrouvions bien
portants à la fin de ces terribles épreuves.
. Mamie chérie. Je t’envoi deux ou trois fleurs qui viennent
du pays reconquis. Les petites fleurs rouges viennent d’un village
qui est complètement démoli, les bôches ne laisse que des ruines
derrière eux. Les arbres fruitiers et ceux qui ont quelque valeur
son tous coupés ou entaillés. Les maisons sont parterre. Tu peux
croire que les habitants étaient heureux de les voir partir et de nous
voir arriver. La fleur du milieu je l’ais trouvée sur
le bord d’une tranchée bôche. Je me demande comment j’ais
pu trouver des fleurs au milieu de toutes ces ruines. Il y a des
choses bizarres.
. Petite femme. C’est avec plaisir que je viens de lire ta
lettre du 11 courant. Je suis content de vous savoir en bonne san-
té, tu me dis que la vie est très chère. Je n’en doute pas. Le pain
est mauvais que veux-tu… certe tout cela est bien embêtant mais
nous n’y pouvons rien. Il est bien ennuyeux que la vigne ne soit
pas belle, il faudrait pourtant bien que la vendange prochaine
soit au moins passable. S’il n’y a rien ce sera la gêne, tu me dis que
tu ne veux pas toucher à ce que nous avons à la caisse. Certe ça nous
serait d’une grande utilité dans l’avenir mais il ne faudrait tout
de même pas se priver de trop. Enfin ! tu me dis que le travail mar-
che assez bien c’est déjà quelque chose, vous pourrez sans doute
vous débrouiller. Ah ! vivement que tout ce commerce finisse. Il y
en a plus qu’assez. Notre Zizou veut que je lui rapporte un râteau,
elle dit qu’il y en a plein vers les bôches. Les bôches se servent très
peu du râteau pour faire la guerre et ils n’ont pas laissé de matériel
quand ils sont parti. Aujourd’hui j’ais reçu une lettre du Louis
Il me dit qu’il est au lit et qu’il a pris froid, il pense que ce ne sera
rien. Il faut l’espérer, ils ont beaucoup de travail ; il est toujours au
même endroit. Il me charge de t’envoyer bien le bonjour et de bons
baisers à Zizou.
. Au revoir ma Jeannot des bois. Embrasse bien fort notre
petit diablotin de Zizou. bien le bonjour à ta mère et à toute
la famille. Bonne chance et bonne santé à tous.
. Ton petit homme qui t’aimme bien bien et t’envoi ses
meilleures caresses ses plus douces bisettes en attendant l’heureux
jour qui nous réunira pour toujours. Je t’embrasse bien fort sur ta bou-
che partout ta figure. Souviens-toi nos jours heureux d’autrefois et
la dernière permission si courte. Je t’adore de toutes les forces de mon
être et suis impatient de goûter à nouveau tes caresses. Je t’aime et
. j’attend ! A demain !
_____________________________________________________________________________________________________________
Le dire avec des fleurs….
Cette lettre du 22 mars est exceptionnelle. En effet, habituellement Simon ne donne aucune indication géographique. Il se contente de signaler les « changements de patelin » , les « stationnements» dans le même village »…Dans le texte il ne donne aucune indication réelle mais précise le lieu où il a cueilli les fleurs envoyées… »Les petites fleurs rouges viennent d’un village qui est complètement démoli. Les boches ne laissent que des ruines derrière eux « . Il ne nomme jamais les villages mais on retrouve les noms à coté des fleurs, dans le bouquet.
Le Journal de marche nous indique qu’ils sont vers Ressons, dans l’Oise, au nord de Compiègne. Les deux autres villages, Lassigny et Candor sont au nord-est, à quelques kilomètres. Le front passe aux limites de cette dernière commune et est occupé par les Allemands, le front étant stable.
La lettre raconte les événements du 20 mars : le front a reculé de manière significative, sans trop de combat, vers le nord-est, au-delà de ce que les Allemands ont nommé la ligne Hidenburg. Peu de pertes humaines mais une politique de la terre brulée : les maisons sont détruites, Simon, nous le dit, » les arbres fruitiers et ceux qui ont quelques valeur sont tous coupés ou entaillés « . Pour quelqu’un qui sait ce que représente ce genre de chose, il y a un choc moral…En réalité les arbres fruitiers ont parfois été dynamités…..
Un article de la revue Ruralia[1] nous raconte cet épisode, avec le recul des géographes ruralistes : une belle analyse des transformations induites pas ces événements.
Nous avons joint quelques cartes montrant l’état du village « à l’entrée de nos troupes », un peu de propagande sur la sauvagerie des boches…
Une carte facétieuse de l’armée occupante, qui montre aussi le village avant destruction…
1]Ruralia, Le paysage de guerre dans le canton de Lassigny (oise), Aout 2001
Laissez votre message