( en haut à gauche , incliné :
mille
bisettes a
notre enfant
que j’aime tant)
. 14 juilet 1915
. Ma femme
. Je viens de recevoir ta lettre du 10 courant
que j’ai trouvé bien brève, tu ne devais guère
avoir de temps à toi pour écrire aussi briève-
ment et aussi séchement. Tu ne te lance pas dans
les détails et tu expédie la petite corvée de m’é-
crire avec autant de facilité que possible.
Certe je comprend qu’il y a bientôt un an
que je suis parti et que tu es désabi déshabituée
d’ exprimer de la tendresse, tout au moins a
un mari si loin que tu n’as plus vu depuis
si longtemps. Tant pis pour les éloignés qu’ils
souffrent puisque telle est leur destinée et heu-
reux ceux qui peuvent arriver à oublier un
peu le souvenir de leur bonheur passé, moi
je ne puis m’y habituer mais je vais tâcher
d’essayer. Je souffre parce que je suis privé
de la tendresse de celle que je croyais attachée
pour toujours, pas un instant je ne puis chasser
l’image de ma femme et de mon enfant, mon
cœur est plein de leur souvenir et c’est ce qui
fait que je suis un de ceux qui souffrent le
plus. Que la vie est laide et je suis à me deman-
der si les morts n’ont pas plus de chance que les
vivants. Je suis anxieux et j’ai peur que tout
bonheur soit mort pour moi, il me semble que
tout m’abandonne et que l’égoïsme et l’abrutisse-
ment feront leur œuvre jusqu’au bout et que
je n’ai plus que la lie à boire dans le calice
de la vie. Que d’amertume pour si peu de bonheur
et qu’il faut payer chère quelques jours […]
Au revoir ma femme je tâcherai de ne pas t’ennuyer
par de trop longues lettres
Laissez votre message