Recto
10 janvier 1915
( en incliné : toutes mes pensées à mes deux chéries)
Ma Jeannot chérie
J’ai reçu ce soir ta lettre du 6 courant
je suis content de te lire car j’attendais de
tes nouvelles avec impatience. C’est bien
malheureux que tu ais toujours mal aux
pieds et aux jambes. C’est très embêtant
et ça doit bien te gêner pour marcher
surtout que la route est assez longue pour
aller à l’usine. Il ne faut pas te forcer
quoique le travail soit redevenu bon, si ça
te fatigue trop il faut te reposer.
Notre Zizou me dis tu se porte tou
jours à merveille ; elle profite toujours et
est bien diable. Tu me dis que
tu lui parles toujours de son papa et qu’elle
me reconnaitra si je retourne en permission
le mois prochain. Je crois que je me suis un
peu pressé pour t’avertir, il faudra bien
attendre le mois de Mars et si rien de
Verso
nouveau ne se produit. Espérons que ce sera
le plus tôt possible. Le temps me dure bien
moi aussi de revoir mes deux gosses chéries
et pouvoir les embrasser bien fort. 6 jours
c’est court, les jours heureux et les heures de
de joie sont toujours bien trop courts ; mais
tout de même on est heureux de revoir ce que
l’on a de plus cher au monde, d’avoir les
caresses de ma Jeannot, de notre petite Zizou
La vie est bien triste sans vous et je suis
très impatient de voir finir cette affreuse
guerre qui nous sépare. Tu me dis que
vous avez un soleil de printemps. Tant
mieux ! Nous aujourd’hui nous avons eu
une pluie fine. Comme hier nous avons
travaillés à la confection de nouveaux
boyaux de communication. Je crois que
nous reprendrons les avants postes après
demain à la première heure. Rien de
nouveau à t’apprendre. Nous avons toujours
l’agréable compagnie des rats et autre
vermine. Cette nuit nous avons essayé
de faire la chasse, mais ils sont malins ces sales rats.
j’attend d’autres nouvelles aussitôt qu’il sera possible
au sujet de ce que ton oncle Michel t’a écrit
Au revoir ma Jeannot chérie. Ton
petit homme qui t’adore t’envoi ses
meilleures caresses et ses plus doux bai
sers. Mille bisettes à notre gamine.
bien le bonjour à ta mère, à ta
grand-mère, à mes parents, à mes frères
Bonne santé et bonne chance à tous
et vivement que je puisse reprendre
ma place près de vous et que nous soyons
réunis pour toujours. S’il en est ainsi
nous serons encore heureux. Tu verras
petite femme. Je t’aime bien bien
et je t’embrasse bien fort sur la bouche.
J’attend toujours avec de plus en plus
d’impatience. Ton petit homme
tout à toi et pour toujours.
Simon Collay
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Pour la première fois, dans le corpus que nous possédons, Simon utilise la formule « Ma Jeannot chérie » comme en-tête. Cette lettre sera lue uniquement par Jeanne. Il y a un besoin d’intimité qui n’est pas simple à vivre, d’abord avec la séparation, bien entendu, mais aussi avec le partage des courriers adressés au reste de la famille. Ce besoin, nous le verrons, est fortement ressenti par Jeanne et on peut y voir une complicité naissante entre les deux amoureux, un jeu de cache-cache avec le reste de la parentèle qui n’est jamais oubliée : « bien le bonjour à ta mère, à ta grand-mère… » Peuvent-ils s’en rendre compte et , si oui, en prendre ombrage ou entrer dans le jeu de cette intimité en fermant les yeux ?
C’est la première lettre également que nous voyons avec des fleurs séchées. Il y en a eu d’autres puisque Jeannot les signale dans une de ses lettres, celle du 1er novembre (à venir). On retrouve aussi les problèmes de vermine déjà évoqués lors de la demande de poudre Vicat, il y a quelques semaines. S’y ajoutent les rats, réputés « malins » et résistants à la chasse.
On constate aussi un espoir de permission mais qui recule selon les événements. Il anticipe déjà le temps court de ce retour, 6 jours. Le voyage est-il compris ? Il devait espérer pour janvier ou février et il mentionne un recul jusqu’en mars, au mieux…Deux mois donc de plus à attendre.
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