Recto
4 juin 1915
Ma Jeannot bien-aimée
Je viens de recevoir ta lettre du
31 mai, dans laquelle tu me dis avoir
reçu la mienne du 27 qui contiendrais
des reproches. Il est vrai que je me suis
un peu plain de ne pas recevoir sou-
vent de tes nouvelles ; ç’a m’est tellement
dure de rester sans te lire que je n’ai pas pu
m’empêcher de réclamer une correspon-
dance plus suivie. Ca n’est peut-être pas
de ta faute mais il ne faut pas de
froisser pour cela. C’est que je ne suis pas
toujours bien dans mon assiette : la sépara-
tion me pèse tellement et tout ce que je
vois est si laid que parfois on ne peut
s’empêcher d’etre inquiet. Quand donc
cette maudite guerre prendra-t-elle
fin ? Quand pourrais-je reprendre
Centre gauche
ma place près de toi et de notre enfant
je t’aime bien ma Jeannot et je dé-
sire tellement te revoir que souvent
la situation me parait insupportable
et malheureusement la guerre menace
toujours de s’éterniser, on ne peut pré-
voir la fin. voilà pourquoi le caractère
s’aigrit. Pourtant je t’aime bien ma
Jeannot chérie, je t’aime beaucoup et
je ne pense qu’à une chose revoir et pou-
voir élever notre Zizou dont je suis inquiet
pour l’avenir. Si je venais à vous man
quer ?… Je pense souvent à cela ! pour
le moment vous êtes très bien, tant que
l’oncle sera là il n’y a pas d’inquiétu-
de à avoir… mais plus tard… ? Si
je n’était pas au danger je serais plus
patient et plus tranquil. Mais hélas
je ne suis sûre de rien. Hier soir on nous
a donné l’ordre de nous tenir prêts à pou-
voir partir dans la nuit pour une
destination inconnue, les voitures char-
Centre droit
gées étaient prêtes aussi ; heureusement
nous n’avons pas été dérangés, mais
j’ai bien peur qu’un de ces jours nous
le soyons pour tout de bon. Espérons que
la fatalité nous épargnera et que notre
bonheur n’est pas encore fini. Je t’aime
tant ma Jeannot je que je tiens beau-
coup à ma vie si utile pour toi et
notre enfant.
J’ai reçu une lettre de mon frère Louis
qui se porte toujours bien et me charge
de vous envoyer ses meilleurs vœux,
il vous embrasse bien fort et n’oubli
personne. Une carte de mon cousin
Faure qui va bien lui aussi. Une
carte de Claudius Morel qui envoi
un bonjour a toute la famille.
Comme je vous l’ai déjà dit hier
nous sommes 5 brancardiers qui fai
sont notre popotte ensemble chez une
dame qui a son mari à la guerre : elle
a trois petites filles dont une et de l’âge
Verso
de notre Zizou et une autre toute poupine
un bébé. Je suis content de voir ces enfants
ça me rappelle mon bonheur passé. Nous
avons affaire à une très honnête femme,
chose assez rare par ici où les femmes sont
se laissent plus ou moins aller.
Je vous remerci beaucoup du colis que
vous m’avez expédié et je vous avertirai
aussitôt que je l’aurai reçu.
Bien des choses à l’oncle de ma part,
de même à mes parents, à ta mère,
à l’oncle de la Craze, a tous nos pa-
rents. Bien le bonjour à madame Ber
ger et à tous les voisins et amis.
Vous me ferez savoir si mon patron
est parti pour l’Italie.
En attendant l’heureux jour de vous
être rendu, votre mari, fils, filleul,
neveu, frère et gendre vous embrasse
bien fort Simon Collay au revoir !
un million de baisers ( comme ceux des bois)
à ma Jeannot. Mes plus douces caresses à notre Zizou
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