Recto
26 Novembre 1914
Chère femme, parents, oncles et frères
Je suis resté deux jours sans vous écrire,
aujourd’hui j’attendais une lettre de vous et
je n’ai rien reçu. Voilà deux jours que
j’ai des douleurs dans une épaule et dans le
bras gauche, le jour je ne sens pas grand
chose mais la nuit c’est très douloureux et
je ne peux fermer l’œil ; je l’ai fait voir
au major, il me dit que ce n’ai rien et puis
ce n’est pas enflé ; il m’y a fait mettre de la
teinture d’iode et c’est tout. Enfin ! espérons
que ça passera, mais en attendant ça me fait
souffrir. Nous avons eu un peu de neige et
il fait froid, à Montbrison il doit en être de
même. Ma chère femme : j’espère que
ma lettre vous trouvera tous en bonne santé
que notre chère petite Zizou continu à grandir
et à profiter, que son babil est de plus en plus
Centre gauche
intéressant ; elle doit être bien drôle, il me
semble la voir trotiner sur ses petites jam
bes. Le temps me dure bien de vous revoir
toutes les deux, je m’ennui loin de vous et
j’attend toujours avec de plus en plus d’im
patience de pouvoir retourner auprès de ceux
que j’aime et qui m’aiment : et pourtant
ça menace de durer encore longtemps. Ma
Jeanne ! où sont ils les jours heureux que nous
avons vécu ensemble, il me semble qu’il y a des
années que je ne vous ai vu, je m’énerve en
voyant que ça ne va pas plus vite, je vois les jour
naux de temps à autre et c’est toujours à peu
près la même chose, de ce train là ça peu durer
une éternité, ils disent aussi que dans les
tranchées on touche toutes sortes de choses et que
des soldats ont écris à chez eux de ne rien
leur envoyer, c’est une vaste blague, ils donnent
peu chose et ça suffit pour qu’ils [disent] que nous avons
jusqu’au superflu, du reste c’est toujours la
même chose, c’est toujours ceux qui ont le
Centre droit
moins besoin qui en touchent le plus. Chère petite
femme soigne notre gentille petite fille que je
souffre de ne point voir, embrasse la souvent
pour son papa qui vous aime bien toute les
deux, soigne notre oncle qui est si bon pour
nous et surtout n’oubli pas de m’écrire souvent
je suis heureux quand je reçois une de vos lettres
et quand je lis de bonnes nouvelles de mes êtres
chers j’éprouve un moment de joie et qui
calme mes peines. Au revoir ma Jeannot en
attendant le grand jour qui nous réunira
ton petit qui est tout à toi t’embrasse de
tout son cœur ainsi que notre petit Zizou.
Cher oncle : j’espère que ma lettre de trouvera
en parfaite santé ainsi que tous les membres
de la famille, que les douleurs ne te fassent
pas souffrir comme moi en ce moment et que
mon père ne tousse pas trop, que l’oncle de
la Craze n’est pas malade. Que tout marche
à souhait dans la famille. Que rien de
contrariant ne s’est produit pour personne
Verso
Dans ma dernière lettre je vous ai dit que
j’avais reçu votre quatrième colis au complet
et que j’avais tout le nécessaire pour le moment
de ne rien m’envoyer de quelque temps, j’ai
aussi touché mon mandat le vaguemestre
ne m’a pas fait de difficulté. Je te remerci pour
tout ce que tu fais pour moi et les miens et j’at
tend avec impatience de te revoir ainsi que mes
parents. J’espère que maître Joanny se sera peut
être trouvé de quoi s’occuper afin d’aider nos
parents [ ] déjà quelque [ ]
reçu des nouvelles du Louis, si vous avez son
adresse exacte vous me feriez plaisir de me
l’envoyer. Au revoir à tous en attendant
le jour heureux qui nous réunira afin de re
prendre notre vie calme et heureuse si brus
quement interrompue . Quelle joie ce jour
Votre mari, fils, neveu et frère qui pense
à vous et vous embrasse tous bien fort
Mille caresses à chère
petite femme et à ma gentille
gosse notre Zizou Simon Collay
Le principe de la lettre divisée en trois se pérennise : le collectif, Ma chère femme puis l’oncle.
Comment interpréter l’augmentation des fautes (deux ou trois mais c’est marquant) quand il parle des journaux, qui visiblement font de la désinformation sur le confort des soldats. Sans doute de l’agacement et de la colère…On le serait à moins.
De même, un peu plus loin, alors qu’il reprend le thème de l’absence, quelques mots « sautent », il en rajoute un au-dessus : on peut imaginer un instant d’émotion qui le fait écrire plus vite qu’il ne pense.
Pour la première fois (mais il nous manque des lettres…) il écrit au milieu du texte : « Ma Jeannot ». On peut penser, avec ce début « d’intimité épistolaire » que cette partie de la lettre n’a été lue que par Jeanne.
On n’a aucune information sur l’origine de ses douleurs évoquées au début mais la teinture d’iode semble bien sommaire comme antidouleur.
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