Recto
2 janvier 1915
Chère femme, chers oncles et parents
J’attend de vos nouvelles avec beaucoup d’impatience, car
depuis la carte du 21 décembre je n’ai plus rien reçu de vous.
Je suis inquiet car je me demande si c’est que vous ne m’écri
vez pas ou si vos lettres ne m’arrivent pas, car mes camarades
eux reçoivent assez normalement leur correspondance. Ecrivez
moi le plus souvent possible je suis trop ennuyé quand je reste
sans avoir de vos nouvelles. J’espère que ma lettre trouvera tou
te la famille en bonne santé et que rien de contrariant ne
s’est produit pour personne. J’espère enfin que le commen
cement de cette nouvelle année ne vous a pas été défavo
rable et espérons tous une promtpe fin de cette maudite
guerre qui nous sépare et ne peut être qu’un malheur
pour les pauvres gens : que de veuves, que d’orphelins, que
de familles en deuils, c’en serait assez il me semble et je
suis à me demander ce que veulent les classes dig di-
rigeantes des différents peuples. Est-ce la ruine complè
te et la misère en perspective car si ça continue com
me on nous le laisse croire, il ne pourra en être autre
ment. Je suis au village en arrière des avants postes.
aujourd’hui, ce matin le 12e territorial est venu nous
rejoindre, nous ne savons qu’en penser, est-ce une
(en marge) Ma Jeanne. Si tu as des nouvelles de ton frère, n’oubli pas de me les faire
parvenir. Je vous aime toi et notre enfant bien fort, de toute mon âme
pleine de vous. Je t’embrasse Jeannot ! bien tendrement, comme quand
nous allions au bois.
Centre gauche
attaque en perspective ? est-ce un départ, pour nous,
vers un autre front ? nous l’ignorons et nous atten
dons. Je viens de recevoir une lettre du Louis elle est
datée du 23, il ne me donne que de bonnes nouvelles
il se porte bien, il est lui aussi dans l’attente
d’un départ. Hier j’ai reçu un colis de monsieur
Barbier, il contenait : un saucisson, une boite de
langue de bœuf, deux tablettes de chocolats, deux pa
quets de tabac ; je vais lui écrire pour le remer
cier. Nous avons toujours la pluie, nous pataugeons
toujours dans la boue.
Ma bien chère femme :
Je me demande comment – il se fait que
je ne reçois que rarement de tes nouvelles, mes
camarades, eux, reçoivent assez facilement leur
correspondance : oublierais tu de m’écrire ou bien
alors que deviennent tes lettres ? Je m’ennui loin
de toi et de notre chère enfant, je m’ennui loin
de tous ceux qui me sont chers, vous devez le com
prendre, écrivez-moi souvent et toi ma Jeanne,
pourquoi ne m’enverrai tu pas deux ou trois
mots journellement, tu ne peux te figurer ce
que j’endure d’être loin de vous, toi tu as notre
enfant, tu as ses caresses : moi rien ! je vie au
Centre droit
milieu d’étrangers, de gens qui ne me sont rien,
comprend cela Jeanne, réfléchi ce que peux en
durer un cœur plein d’amour et de tendresse.
Réfléchi ce que peut endurer ce cœur quand il est
privé de ceux qui lui sont chers. C’est dure ! c’est
bien dure ! et je suis bien las ! Attendre encore, tou
jours attendre et toujours rien qui puisse nous
faire prévoir une paix prochaine. On nous parle
beaucoup de patrie et on nous parle jamais d’hu
manité : On dit l’Europe civilisée, elle est folies
le barbarisme y règne en grand. L’ouvrier intelli
gent qui se laisse tuer . Enfin ! Espérons tout de
même . Ma Jeannot chérie, j’espère que notre
Zizou continu à bien se porter. qu’elle grandit
toujours et devient de plus en plus intelligente.
Le temps me dure de vous revoir toutes les deux
j’attend de pouvoir vous embrasser bien fort et
recevez en attendant, mes chers gosses, recevez de
celui pour qui vous êtes tout, ses meilleures ca
resses, ses plus tendres baisers. Au revoir ! A
Bientôt ! Je vous aime, je vous aime de tout
mon être et j’attends toujours de vous revoir, je
ne pense qu’à cela. Où est-elle la belle vie d’au
trefois ? quand reviendra-t-elle. J’attend
Verso
Cher oncle
J’espère que tu es toujours en parfaite santé
ainsi que mes parents et l’oncle de la Craze. J’es
père que ton travail de fin d’année est terminé et
qu’enfin tu peux te reposer un peu. Je souhaite
de tout mon cœur le rétablissement de ton patron
et de Berger et j’attends avec impatience de vous re
voir tous et de pouvoir vous embrasser bien fort. Je
m’ennui loin de vous tous qui m’êtes chers. La vie que
je mène devient de plus en plus pesante et j’at
tend la liberté avec impatience.
Cher oncle : je t’aime ! tu ne dois pas en douter
mais je tiens à te le dire tout de même. Je t’aime et
j’ai aimé notre pauvre défunte ma tante, ma
seconde mère. Je te remerci pour tout ce que tu as
fais et ce que tu fais toujours pour les miens. J’attend
de te revoir et de te remercier comme je le dois. Au revoir
au plus tôt possible de t’embrasser de tout cœur.
Bien des choses à mon père et à ma mère, je ne
les oublie pas et pense à eux. Je les embrasse eux
aussi bien fort. Je vous aime tous. Au revoir
Votre Simon Collay
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